14/01/2008
Charlie et la chocolaterie, Tim Burton
Willy Wonka est un personnage esthétique. Il défie les perspectives, libère les couleurs et canalise mal son imagination.
Sa froideur relationnelle, il la compense par un goût immodéré pour le chocolat. Vous savez, cette gourmandise royale qui libère des hormones anti-déprime.
Billy est tout l'inverse, ce jeune garçon a la chaleur et solidarité familiale chevillées au corps.
Le chocolat pour Billy, c'est une tablette par an ... pour son anniversaire.
Les perspectives, il les contemple mais sa pauvreté l'en tient à l'écart. Mais ce n'est pas un problème.
La vie n'est pas dans les perspectives et l'argent.
La vie de Willy a la couleur de son usine, grandiose et triste à la fois. Et puis, que deviendra la fabrique géante une fois son propriétaire disparu ?
Willy organise un jeu mondial : un must de marketing relationnel. Cinq "golden tickets" sont dissimulés dans cinq tablettes de chocolat Willy Wonka et dispersées de par la planète.
Les cinq heureux élus pourront visiter cette étrange usine et un élu aura le présent suprême !
S'ensuit un délire artistique sublime entre excentricité colorée et vengences exquises.
Un film à la fois beau, moral, asymétrique, esthétique, déconcertant et tout à la gloire de ce maestro génial qu'est Johnny Depp.
Un rictus, un sourire, une démarche, Johnny inonde l'écran de sa présence gourmande, fascinante, telle une hormone libérée par le chocolat.
Mon appréciation : 9/10. A voir en famille !
08:35 Publié dans A voir | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Charlie et la chocolaterie, Tim Burton, Johnny Depp, Freddie Highmore, David Kelly, Helena Bonham Carter, Noah Taylor
07/01/2008
Dialogue avec mon Jardinier, Jean Becker, Henri Cueco
Si vous devez pleurer à la fin d'un très beau film, il faut le faire, sans retenue, comme sur les accords du blues du siffleur.
Provincial, j'ai connu tout petit la vie des campagnes françaises, ardéchoises et lozériennes en l'occurrence (les patois et expressions typiquement locales, les fruits et légumes de potagers, aux odeurs puissantes, aux goûts intenses, les chiens de garde ou d'accueil, comme vous préférez, petits roquets, blancs et noirs ébouriffés, les champignons, les lapins cuits au sang accompagnés de pommes de terre bouillies, les habits de travail taillés dans les mêmes tissus démodés,..). C'est une belle histoire française, enracinée dans la langue, les traditions, l'amitié, la solidarité, la nature, la vie simple, le temps qui passe avec lenteur et bonheur.
La langue, c'est un français de relief, qui dessine des images dans la tête, avec toutes leurs dimensions, qui fait naître des souvenirs, des odeurs, des sourires. Henri Cueco a su cueillir et restituer cette beauté du patrimoine français, sans raccourcis, sans laque, sans édulcorant ou colorant.
Quand j'entends "Dujardin" - surnom du personnage interprété par Jean-Pierre Darroussin - expliquer à "Dupinceau" - Daniel Auteuil - pourquoi il enlève ses bottes avant d'entrer dans la maison, je comprends le dialogue dans toutes ses dimensions. Appréciez plutôt : "la terre reste incrustée dans les semelles et avec le chaud dans la cuisine, ça laisse des gauffres".
Cueco concentre ici à la perfection tout l'humour du parler vrai de la campagne française, où l'on est heureux de vivre, quelles ques soient les vicissitudes de la vie.
Dupinceau - surnom de l'artiste peintre - fuit la superficialité parisienne, ce que j'appelle parfois la "tendancitude", the "last vibe"..
Il s'installe à la campagne suite à la disparition de ses parents et son début de divorce et décide de faire renaître le jardin de ses parents autrefois si beau. C'est la priorité, et en particulier le potager, qui l'inspire, lui donne les couleurs, les senteurs, la beauté des alignements, la disparité des espèces. Il engage un jardinier pour réaliser ce travail et retrouve un ami de tendre enfance, local pure souche.
La complicité et la convivialité vont renaître comme s'ils s'étaient quittés hier, autour d'un petit coup de Chirouble. Et dans cette vérité, Dupinceau explique qu'il a choisit de suivre ses envies, de se réaliser pour ne pas ré-éditer l'erreur de son père, pharmacien à vie et fidèle aux règles matrimoniales imposées par sa femme : "mon père lui, il n'aurait pas osé dire non. Ses aspirations d'artiste, il se les ai gardées.."
Et Dupinceau poursuit en expliquant à son ami qu'il peint ce qu'il ressent en regardant et non ce qui se voit : "je peins moins ce que je vois que ce que j'imagine". Dujardin après un réflexe de bon sens "c'est quand même étonnant de sortir dehors pour peindre ce qu'on ne voit pas", interprète sur son registre, le vécu : "l'océan, on le voyait sans le voir, mais à l'odeur on le devinait". La maturité de l'artiste parisien est étourdissante, et fait écho aux Rousseau et Chateaubriand en référence au bonheur : "avoir la volonté de bien prendre son temps et de regarder autour de soi".
Mais le bonheur de Dujardin est dans le prévisible, la douce routine, le temps cyclique des bons moments, qui touche doucement à l'ennui : "ça me fait bizarre de faire dimanche au milieu de la semaine". Dupinceau adapte ses activités à son envie : "laisse-toi vivre, merde !".
Dujardin reste dans le registre du vécu : "la peau d'une femme, c'est des choses qu'on voit sans dire qu'on les regarde". Dupinceau conclue brillemment sur le pourquoi et le comment lire une oeuvre d'art : "aucune envie de t'expliquer ; ressentir ! y a des profs pour expliquer !"
Le temps du lendemain, Dujardin le prévoit à coup sûr. Quand Dupinceau lui demande une explication, ce qu'il faut regarder dans le ciel : "tu gardes tes secrets sur le temps ?", la réponse est à propos "tu ne dis pas ce que tu regardes quand tu peins".
La vie joue ici dans les couleurs réelles et les sentiments entiers : Dujardin n'aime pas l'électricien choisi par Dupinceau, mais quelques jours plus tard, on apprend qu'il lui reconnaît de bien travailler. On est loin du fleuret moucheté faux-cul de la capitale, le politiquement correct mortifiant. Ici, on se met parfois "deux, trois poignées d'beigne sur le museau". Et lorsque l'on parle de salade, on entame un sujet à la diversité immense : "il y en a autant de variétés qu'un curé peut en bénir, fils de loup, tu vas pas être déçu".
Et le potager, c'est l'expression de l'amitié, du travail bien fait, de l'art dans la nature, la main de l'homme accompagné du mouvement de la nature. Le cadeau magnifique, c'est un beau légume, élevé avec amour et patience : "demain, je t'apporte un choux-fleur, mais alors, le choux-fleur bichonné, ni poux, ni saloperie !"
L'urbanisme est un poison, "oh la la, vous êtes combien à rouler en même temps ?". Le bonheur n'a pas besoin de tous ces artifices et Dujardin en est sûr : "vivre en ville rend fragile".
Mais le bonheur est l'affaire des mortels et les belles histoires ont une fin. Aussi, vaut-il "mieux mourir d'un coup, on arrive au ciel en meilleure forme" remarque Dujardin.
Il profite donc de ces moments, allongé au milieu des rangs de poivrons et de haricots car jardiner, c'est sa vraie vie. Il est au sommet de sa passion, à l'apogée de son art : "J'ai jamais fait des légumes aussi beaux, on dirait que ça leur plaît de voir leur jardinier couché avec elles".
Messieurs Cueco et Becker, je vous remercie pour ce bonheur d'une heure cinquante. L'un des plus beaux films qu'il m'ai été donné de voir !
Mon appréciation : 10/10 !
08:05 Publié dans A voir | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Dialogue avec mon Jardinier, Jean Becker, Henri Cueco
01/01/2008
Sideways, d'Alexander Payne
En fait, j'aime les histoires d'amour sensibles, qui se découvrent avec finesse, au travers d'une compréhension intuitive commune, des regards, d'une dégustation, d'une complicité qui devient totale et qui ne se sert des mots que par défaut. J'aime la lenteur des bons instants, l'ambiance jazzy et feutrée d'un lobby chaleureux, la lumière intense et déclinante d'une balade en décapotable au milieu des vignes, les dégradés de marron et de vert d'un casse-croûte en campagne.
Je déteste les films lisses et bien pensants, les univers esthétiques parfaits, le goût mondial, la force tranquille des héros intouchables. Je déteste la cuisine industrielle, la sursaturation sucrée ou salée, les vins aux goûts de concentrés arômatiques.
Sideways est une histoire banale, une bulle de vie, mais une tranche de vérité dans un monde hanté par les névroses modernes. La faiblesse de l'autre se trouve souvent à une situation de là, un fait inattendu qui vous fait "péter les plombs" au sens propre des mécanismes électriques du cerveau.
Miles, joué par Paul Giamatti, est un pauvre type, selon toute apparence, du moins le pense-t-il. Prof qui s'ennuie lui-même, écrivain jamais publié, physique lambda, fauché comme les blés.
Jack est son ami, du moins a-t-il ce statut depuis un partage de chambre comme étudiant à la fac avec Miles. Jack, interpreté par Thomas Haden Church, est un acteur de série B raté qui n'émeut par son talent que les serveuses de restaurant nostalgiques.
Miles et Jack ont décidé de s'éclater. Une semaine de bonheur dans ce monde ingrat. Miles aime le pinot noir, Jack est un dévoreur de vie et de femmes insatiable. Ils sont l'eau et le feu, mais leur médiocrité terrestre les rapproche. Et c'est bien ce qui peut aussi les transcender. Trouver dans une dégustation, une balade, une discussion, le fond des sens, la beauté de la vie.
Parfois, c'est tout à la fois. Comme ce passage dans les rangées de pinot noir, ce cépage que Miles dit dur à cultiver, à la peau fine, au beau tempérament, qui mûrit très vite. "Ce n'est pas un survivant comme le Cabernet !". Le pinot noir, poursuit Miles, ne s'acclimate qu'à de petits terroirs bien spécifiques. Seuls les plus patients et les plus soigneux des viticulteurs pourront l'amadouer. Miles est un être exceptionnel, capable de saisir l'essence même de ce beau cépage aux fruits rouges subtils, anciens.
"Le cabernet est plus puissant, plus prosaïque". On en viendrait à le trouver vulgaire ! ;-)
Maya - Virginia Madsen - répond au diapason. Elle aime à penser à la vie du vin. "Il évolue sans cesse". Une bouteille est en constante évolution jusquà son apogée, puis elle entame un lent et inexorable déclin.
Et les deux - Maya et Miles - ont cette beauté rare que la folie exprime : "le jour où on ouvre un Cheval Blanc 1961, c'est l'occasion !" Quel bel hymne à la vie, quel bras d'honneur aux conventions castratrices !
Le goût mondial prend sa part quand Miles explique à Jack son dégoût de la seconde fermentation californienne du Chardonnay.
Miles prend le temps d'initier Jack à la dégustation, l'observation de la densité des couleurs, le flairage, l'oxygénation. Et les personnalités sont brutes et simples. La question de Miles à la fin de la séance de dégustation est mémorable : "tu maches du chewing-gum ?!!"
Le relief n'est pas seulement dans le verre : ce vin "est plus serré qu'un cul de nonne, mais très fruité !"
Les médaillons de porc saupoudrés de truffe noire participent à un enchaînement génial : withcraft winery en pinot noir bien sûr, seasmoke rouge dans le cépage que vous savez, Pommard et enfin Richebourg.
J'apprécie Miles car il joue au golf aussi bien que moi, il sait commander un "croissant aux épinards", attaquer avec Jack des joueurs gougeats trop pressés en moulinant leurs clubs au-dessus de leur tête et en poussant des cris terrifiants tels des hommes des cavernes distingués du 21ème siècle mais aussi déguster un beau verre de vin au pied d'un grand arbre sous un coucher du soleil aux tons dorés pastel.
08:15 Publié dans A voir | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sideway, Alexander Payne, wine, pinot noir, vin, art de vivre
01/07/2007
Ratatouille
Les français aiment les américains depuis Napoléon. Ces derniers nous le rendent bien, fascinés qu'ils sont par la finesse de notre culture et par notre art de vivre.
Ratatouille est une merveille, feu d'artifice de couleurs, de sensations et d'intuitions sensibles. Exit les Disney aux formes anguleuses, aux synthèses synthétiques, aux chutes tarte à la crème entendues. Pixar rafraîchit Disney avec un ancrage dans la beauté du réel, dans l'imperfection de la nature humaine, dans sa simplicité, sa capacité à se surpasser, à se sublimer.
La cuisine est un art populaire. Nous avons tous déjà été un héros du quotidien ordinaire, en accomodant un plat, une boisson, un arrangement magique pour le palais, les yeux et finalement l'évasion de l'esprit. Auguste Gusteau, le chef étoilé d'un très grand restaurant parisien l'affirme par la voix délicatement distinguée et tanée de Jean-Pierre Marielle : "Tout le monde peut cuisiner". Et le jeu d'animation fait le reste pour projeter un rat passionné de goût dans une quête folle, de toques en cuivres de casseroles, de pièges en reconnaissances précieuses. Car ce métier est un sacerdoce ingrat, un challenge de chaque jour, où l'artiste remet sa couronne en jeu perpétuellement et avec délice.
La cuisine est un art vivant, organique, éphémère, qui se nourrit d'innovations, d'accords inédits, de joyeuses erreurs et de reprises ancestrales. Sous l'impulsion de son "petit chef" le rat Remy, le jeune Linguini - animé par Thierry Ragueneau - va rejouer avec intuition la madeleine de Proust et éveiller le sixième sens de ses convives, la mémoire temporelle du bonheur enfantin. Comme un vulgaire carré de chocolat de cuisine devient une sensation intense au terme d'une longue randonnée de montagne, les plats les plus simples peuvent trouver une dimension émotive et sensorielle décuplée lorsque repris et ré-inventés par un tour de main de génie.
Paris est un écrin naturel à ces expressions vivantes. On reconnait des quartiers, des endroits comme les berges pavées du pont Alexandre III, une fontaine empruntée au carrefour de la rue Jean Gougeon. Les dessins sont précis, chaleureux, très parisiens : une version Amélie Poulain de dessin animé. Christophe Hondelatte narre sur un ton journaliste - le sien - les aléas de la renommée publique des grands chefs soumis à la critique acerbe de scribes parfois frustrés face à tant de talent et de sacrifice passionné.
Mais avec ou sans étoile, le bonheur est dans l'assiette !
Dans cette pincée de safran pour laquelle Remy risquera sa vie. Dans cette feuille de basilique et ce brin de romarin qui font d'une omelette, un plat de gala !
Comme certains vins de table surpassent des crus classés, une brasserie peut envoûter ses convives, les surprendre, encore, et toujours, avec la liberté d'un américain à Paris !
Ce spectacle est un must, qui touchera également les plus grands mais pas seulement par le dessin. L'approche gastronomique est juste, la difficulté de la profession bien retransmise, les bonheurs simples de son alchimie frappants. Je vous conseille de savourer ce spectacle en famille, avec attention, tendresse et émotion.
Disney signe un de ses plus beaux chef d'oeuvre, je pèse mes mots.
A voir absolument, à revoir absolument, 20/20 !
15:40 Publié dans A voir | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : pixar, disney, a table !, ratatouille, remy, rat, Auguste Gusteau
14/05/2007
Marie-Antoinette, Sofia Coppola
Historiens et rigoristes s'abstenir !
Marie-Antoinette Coppola est une bulle de sensibilité et d'intuition. Un rêve en rose et bleu, clair, frais, adulescent dans un écrin nommé Versailles. Le poids de l'Histoire contre la légèreté de l'âge, des envies et du cours de la vie. La raison politique contre la beauté, le jeu et la gourmandise.
Kirsten Dunst est animée d'une beauté distinguée, d'une maturité précose qu'elle transmet brillamment à cette grande femme et d'un amour simple de la vie qui émane de tout son être.
Distinguée et de grande classe quand elle se fait dévêtir de façon ridicule au passage de la frontière française à l'âge de 14 ans pour ne plus jamais revenir en Autriche, distinguée et amusée quand on la dévêtit à nouveau pour l'habiller à chaque lever avec les femmes de rang, distinguée et royale lorsqu'elle salue avec une douce méprise la première prostituée de France, distinguée et courageuse à la veille de la prise de Versailles, distinguée dans l'Histoire lorsqu'elle quitte Versailles en carosse pour la dernière fois.
La pâle personnalité du roi n'ajoute rien au contraste de cette tempête de vie qui déboule dans un univers corseté et rigide. Il fallait oser des tons en pastel de rose et bleu clair, une musique mi-classique et résolument moderne, rythmée, des gâteaux énormes et drôles, une garde-robe extravagante et tellement classique. Sofia l'a fait pour nous transmettre sa flamme, son amour, sa passion.
Lost in Translation a poussé Scarlett Johansson au coeur d'un Japon urbain hystérique et déshumanisé, Marie-Antoinette installe Kirsten Dunst dans un Versaille politiquement décadent insouciant des guerres et de la proche révolution qui verra sa fin.
Le parallèle est saisissant et les deux femmes sont troublantes de beauté et de grandeur.
Marie-Antoinette est une femme, une enfant, une adolescente ; elle est espiègle, enjouée, généreuse ; elle est humaniste, raffinée, intelligente ; elle est élégante, gourmande, innovante ; elle est réaliste, imaginative, responsable.
Marie-Antoinette est 2 heures et 3 minutes de discussion avec votre coeur.
08:45 Publié dans A voir | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : marie-antoinette, sofia coppola
30/04/2007
Bouchons de vin par Michel Girodeau
07:10 Publié dans A voir | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : bouchons, vin, girodeau, photo
04/06/2006
Lost in Translation, Sofia Coppola joue échec et mat avec votre sensibilité
J'ai la - mauvaise - habitude de dire que si un long métrage ne vous atteint pas dans les quinze premières minutes, il ne vous atteindra plus. Lost in translation est un film d'une finesse inouïe qui parle en direct à votre coeur, votre âme, votre sensibilité. Le rythme est lent et frôle l'ennui, celui là même que les écrivains romantiques du XVIIIème siècle (et début XIXème) comme Chateaubriand attendent pour sonder le vrai bonheur.
Ce film se déguste, avec patience et détail, avec douceur et intuition, avec la pensée, par les attitudes plus que par les dialogues.
Car tout est vulgaire, superficiel et absurde dans la brutalité mécanique de la société japonaise moderne. Ce pays de mauvais hasard où se retrouvent quelques occidentaux en transit, entre deux missions et deux avions. Les personnages sont faussement simples et ressortent magnifiquement dans un contraste de sur-consommation aliénante. Les pépites cinématographiques se succèdent, Sofia nous capte avec classe et enchaine les clins d'oeil géniaux. Je retiens la scène de la piscine où Bill Murray fait ses longueurs en compagnie d'un groupe d'aqua-gym motivé "à bloc". Les respirations de Bill alternent des plans aux sons forts et clairs avec nouvements de bras du groupe et les plans à sons sourds avec gigotements ridicules des jambes du même groupe. Que dire des multiples scènes d'over-dose technologique ou de zapping télévisuel monstrueux. Les programmes nippons semblent pires que ceux des chaînes allemandes.
Et tout ceci s'enchaine au Japon plus qu'ailleurs dans un rythme déshumanisé, autonome, qui broie les hommes et les âmes.
Egarés, ébêtés dans ce mouvement perpétuel sans sens, deux êtres se croisent sur une fréquence basse : Bill Murray est un vieil acteur qui tourne une pub aux poses ridicules et aux couleurs d'ice tea aux glaçons de plastique pour le lancement d'un wisky au Japon ; Scarlett Johansson est une jeune étudiante, qui accompagne son mari, adepte de la "branchitude est une fin en soi".
Elle est nature, intelligente, a le charme pur de la jeunesse. Il est fin, poli par la vie et désabusé par la routine.
La suite est un jeu d'esprit, de maîtrise, de bonheur, d'intuition, follement d'intuition.
Les mots sont banals car encore de trop.
Leurs regards vous transpercent.
Scarlett a la beauté du bonheur qu'elle traverse. La présence de l'autre suffit.
Le temps est assassin mais magnifie ces secondes comme autant de jours intenses où la vie n'a pas de prix, où la vie n'a pas de prise.
00:55 Publié dans A voir | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : cinema, copolla, sofia, murray, johansson, film
20/03/2006
Les Boucherts Verts (De Gronne slagtere)
Nous sommes loin d'Hollywood, des manequins siliconnés, des voitures de sport et de l'hémoglobine vulgaire.
Anders-Thomas Jensen est danois. Il décrit deux seconds bouchers, n'ayant jamais quitté les arrières salles, souvent froides, de la boucherie de leur patron tyranique. Le tableau de ces vies médiocres et vassales semble figé comme les figures aux reflets de gelée de paté de tête de ces deux lambdas de la société moderne. Svend sue au travail, Bjarne rêve d'ailleurs, et ils se retrouvent pour leur barbecue dominical, pour manger... de la viande grillée. La ville est grise et leur banlieue maussade. Vies dignes d'un ciel danois.
Pourtant Svend est ambitieux, taraudé par la volonté de faire quelque chose de son existence, quelles qu'en soient les conséquences. Que pourrait-il vraiment perdre d'aillleurs ?
Les débuts sont catastrophiques jusqu'à ce que leur ancien chef leur lance un défit.
L'art cinématographique est finement manipulé. L'atmosphère et les couleurs vont de paire dans des tons verts grisatres, ternes. Les personnages sont comme tirés d'une bande déssinée. Ils expriment à la perfection leur caractère, défauts, faiblesses mesquines, en fait leur humanité, leur chaleur intérieure, parfois étourdie par leur volonté de changer le destin, souvent tout simplement bonne.
Svend a une chemise à manches courtes et à losanges gris, une cravatte grise trop courte au noeud insignifiant et un pantalon gris-bleu à soufflets sans ceinture. Son front lui mange le visage et son crane chauve à moitié semble le prolonger jusqu'à la perpendiculaire.
Les clients ont le teint vert de gris sous des chapeaux de vieilles ridicules de mauvais goût et des manteaux de vieux tristes comme leurs pensées.
La puissance du film au-delà de l'humour, de la prouesse de réalisation et d'acteurs, réside dans une morale qui manque souvent à nos générations : croire en soi, travailler et faire les choses avec passion. Svend est un fou de boucherie, Bjarne croit suffisamment en lui pour le suivre très loin, le succès n'a besoin d'aucun autre apparat.
Vivre avec passion, croire en soi, faire les choses avec un soucis d'exigence permanente... Film à voir, incontestablement.
08:45 Publié dans A voir, Zorreurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Gastronomie
24/02/2005
Une affaire de goût : un beau film de Bernard Rapp
Je n'apprécie pas particulièrement Bernard Giraudeau souvent un peu transparent dans des rôles trop classiques pour lui, mais là, chapeau bas ! L'acteur est au zénit de son art et le scénario taillé sur mesure, à la fois fin et délicieusement trouble. Jeu d'esthètes, une affaire de goût voit se cotoyer Bernard Giraudeau, riche chef d'entreprise passionné de gastronomie et Jean-Pierre Lorit dans le rôle de son "goûteur", sorte de bras droit de bon goût, seul à même de partager la sensibilité de son patron.
Cynique et raffiné, le riche homme d'affaires construit au grès des expériences sensibles qui jalonnent l'apprentissage de son "goûteur" un sosie à même de partager toutes ses sensibilités.
Tour à tour complice, consommateur de sensations par procuration et sadique, Bernard Giraudeau alterne les psychologies d'un personnage qui lui colle au physique. Les traits du visage, les dents, le sourire et la démarche traduisent à la perfection un scenario que Gilles Taurand a su travailler en profondeur psychologique à la demande de Bernard Rapp.
On sent un homme désemparé qui a fait le tour de l'argent, du pouvoir et de l'amour plastique et qui ne vibre plus que par l'exigence et la perfection extrêmes des mets de la table et des échanges de l'esprit.
Son dialogue avec le jeune Lorit devient intuitif, fusionnel, intelligent. Mais cette recherche de perfection est-elle raisonnable dans un monde aussi lointain que médiocre ?
Quelle belle adaptation du livre de Philippe Balland. Bravo monsieur Rapp !
PS : ce film a reçu le Grand Prix du festival du film policier de Cognac.
09:30 Publié dans A voir | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Gastronomie